L’adoption de l’initiative parlementaire Bregy aurait pour conséquence l’homologation de nombreuses substances actives jusqu’ici non autorisées en Suisse sans véritable évaluation des risques pour la santé et l’environnement. Cela entraînerait des risques sanitaires importants, certaines de ces substances étant extrêmement dangereuses pour la santé humaine. L’une de ces substances critiques est le fosthiazate – un insecticide, soluble dans l'eau, qui peut perturber la fertilité féminine et le développement embryonnaire et qui est neurotoxique. C'est pourquoi il est indispensable de procéder à une évaluation environnementale et sanitaire lors de l'autorisation des produits phytosanitaires et que la mise en œuvre telle qu'elle est prévue par l’initiative parlementaire Bregy est une négligence grave.
Comme nous l'avons déjà évoqué dans les deux derniers articles de ce blog, l'initiative parlementaire Bregy (22.441 «Une protection des plantes moderne, c'est possible») souhaite permettre que les substances actives soient autorisées en Suisse sans examen environnemental et sanitaire substantiel. Ceci lorsqu'elles sont déjà autorisées dans l'un des six pays de référence que sont l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, la France, la Belgique ou les Pays-Bas.
Cela ne mène à rien pour plusieurs raisons et est en outre dangereux pour la santé. L'une de ces raisons réside dans les conditions environnementales que nous connaissons en Suisse, différentes de celles des six pays de référence.
Les partisans de l’initiative parlementaire Bregy argumentent que l'autorisation simplifiée des produits phytosanitaires des pays de référence est justifiée par des conditions agronomiques et climatiques similaires. Cet argument n'est toutefois pas concluant. De par la présence des Alpes et du Jura, la Suisse présente des conditions environnementales et agricoles différentes de celles des pays de référence. Par exemple, les précipitations en Suisse, en raison de l'arc alpin, sont nettement plus importantes que dans les pays de référence listés dans l’initiative parlementaire Bregy.1 Le risque de lessivage des pesticides est donc plus élevé et les eaux souterraines et l'eau potable sont particulièrement menacées par les substances toxiques.
Du fait de précipitations importantes, les drainages sont en outre particulièrement nombreux en Suisse.2 Au moins 25% des sols agricoles sont drainés. Cela concerne principalement les surfaces situées dans les vallées à faible pente, c'est-à-dire précisément les zones où l'agriculture est intensive et où l'on utilise beaucoup de pesticides. Ce système de drainage favorise par conséquent le déversement de produits phytosanitaires et de leurs produits de dégradation dans les eaux.
Ce risque accru d'infiltration dans les eaux devient particulièrement important lorsque les substances actives utilisées peuvent être dangereuses pour l'être humain. Ce serait immédiatement le cas pour certaines substances, au vu de la proposition faite par l’initiative parlementaire Bregy. Ainsi, le fongicide tétraconazole (Article : Initiative parlementaire Bregy partie 1) ou l'herbicide triallate (Article : Initiative parlementaire Bregy partie 2) ne sont pas les seuls à poser de graves problèmes pour la santé, le fosthiazate, un insecticide fréquemment utilisé, l'est également.
Le fosthiazate est un insecticide et un nématicide qui appartient au groupe des organophosphorés.3 Les organophosphorés sont des neurotoxiques : ils attaquent le système nerveux des insectes (ainsi que d'autres êtres vivants) en inhibant une enzyme4 indispensable à leur survie dans le système nerveux. Cela entraîne des crampes musculaires et finalement une paralysie respiratoire mortelle de l'organisme.5
Le fosthiazate est principalement utilisé dans la production de pommes de terre, mais aussi dans la culture maraîchère en général.6 L’objectif est de lutter contre les nématodes et autres insectes du sol. L’un des principaux organismes cibles du fosthiazate est le nématode à galles des racines.7 Il s’agit de vers filiformes vivant dans le sol qui parasitent les plantes. Ils pénètrent dans le système racinaire des plantes et s’en nourrissent. En réaction à l’infestation, la plante forme ce qu’on appelle des galles (voir Figure 1). En conséquence, la plante s’affaiblit et se développe mal. Les nématodes à galles parasitent plus de 400 espèces végétales, ce qui en fait une menace importante pour l’agriculture suisse.8, 9
En Suisse, les deux substances actives sont actuellement autorisées contre les nématodes à galles des racines. Le fosthiazate pourrait ainsi constituer une troisième option à l’avenir.
Parmi les pays de référence listés dans l’initiative parlementaire Bregy, le fosthiazate est autorisé dans tous, à l’exception de l’Autriche. Les chiffres de vente aux Pays-Bas sont particulièrement remarquables (voir Figure 2). Là-bas, les ventes ont fortement augmenté ces dernières années, passant de 46 à 116 tonnes par an. Le fosthiazate fait ainsi partie des 15 substances actives les plus vendues aux Pays-Bas.10 Cette augmentation reflète une tendance mondiale : à l’échelle globale également, une forte croissance des ventes de fosthiazate est attendue dans les années à venir.11
Le fosthiazate appartient au même groupe de substances actives que le chlorpyriphos, un composé organophosphoré hautement toxique désormais interdit en raison de ses effets nocifs sur la santé. En Suisse et dans l’Union européenne, le chlorpyriphos a été retiré du marché en 2020, et aux États-Unis en 2022. Cette décision a été motivée par les risques importants pour la santé, en particulier chez les enfants. En effet, le chlorpyriphos peut endommager le cerveau des embryons et des jeunes enfants.12
Comme le chlorpyriphos, le fosthiazate agit en inhibant une enzyme spécifique du système nerveux. Le problème : cette enzyme n’est pas présente uniquement chez les organismes nuisibles, mais aussi chez l’être humain. Son inhibition peut avoir de graves conséquences sur le fonctionnement neuronal – un risque inhérent à tous les composés organophosphorés.
Ce risque de dommages neurologiques a désormais été officiellement confirmé pour le fosthiazate. Récemment, les indications sur les risques associés au fosthiazate ont été complétées par un avertissement concernant une possible neurotoxicité (voir encadré). Cette mise à jour repose sur des études menées chez des mammifères, où des symptômes neurotoxiques ont été observés après administration répétée de la substance active – notamment des tremblements musculaires, des troubles respiratoires et une motricité altérée.13
Selon la classification officielle de l’UE, les indications sur les risques suivantes s’appliquent au fosthiazat :
En 2023, le Comité européen d’évaluation des risques (RAC) a ajouté les indictaions sur les risques suivantes :
Outre sa neurotoxicité, l’évaluation européenne des risques13 a également mis en évidence un effet toxique pour la reproduction du fosthiazate chez les mammifères. Par exemple, une exposition répétée au fosthiazate chez des femelles en gestation a entraîné des troubles de la fertilité ainsi que du développement embryonnaire. La Figure 3 présente un aperçu des effets observés sur les femelles et leur progéniture – des effets considérés comme transposables à l’être humain.
Les résultats des études ainsi que l’évaluation des risques du RAC le montrent clairement : le fosthiazate est loin d’être inoffensif.
Avec le fosthiazate, une nouvelle substance aux effets potentiellement graves pour la santé humaine vient s’ajouter au portefeuille de substances actives concerné par l’initiative parlementaire Bregy. Une exposition répétée à ce principe actif – par exemple via de l’eau potable contaminée – peut entraîner des conséquences sévères : troubles neurologiques, baisse de la fertilité ou encore perturbations du développement chez l’enfant.
Le risque d’exposition au fosthiazate (ou à d’autres substances nocives) pourrait être moins élevé dans les pays de référence autorisant la substance qu’en Suisse. Il est donc impératif de prendre en compte les conditions spécifiques du territoire suisse. Des précipitations fréquentes et un réseau de drainage dense augmentent considérablement le risque d’infiltration de produits phytosanitaires dans les eaux de surface – en particulier lorsqu’il s’agit d’une substance hautement soluble dans l’eau comme le fosthiazate.6
Importer aveuglément des homologations depuis l’étranger est donc irresponsable. Se référer à des pays voisins sans tenir compte des conditions environnementales locales expose à des risques sanitaires évitables. Une évaluation environnementale et sanitaire approfondie dans le cadre de la procédure d’autorisation est donc indispensable – toute autre approche irait à l’encontre de l’intérêt public. L’initiative parlementaire Bregy compromet cet intérêt.
[Source article original: ohnegift.ch]
Tous nos remerciements à l'équipe de ohnegift qui nous a gentiment donné la permission de reproduire leur article.
[1] Statista (2025) : Durchschnittlicher monatlicher Niederschlag in ausgewählten Ländern Europas im Zeitraum 1980 bis 2023. (consulté le 26.05.2025)
[2] Koch & Prasuhn (2020) : Drainagekarte Schweiz: Erstellung einer Karte potentiell drainierter Flächen in der Schweiz mittels «Machine Learning»
[3] United States Environmental Protection Agency (EPA) (2005) : Pesticide Fact Sheet. Fosthiazate.
[4] Acetylcholinesterase (AChE)
[5] DocCheck Flexikon : Organophosphate. (consulté le 26.05.2025)
[6] University of Hertfordshire (2025): Pesticide Properties DataBase. Fosthiazate. (consulté le 26.05.2025)
[7] Natursim (2022) : Was ist Fosthiazat? (consulté le 26.05.2025)
[8] Agroscope (2025) : Wurzelgallennematoden. (consulté le 26.05.2025)
[9] Hortipendium (2015) : Wurzelgallennematoden. (consulté le 26.05.2025)
[10] Ministerie van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit (2023) : Afzetgegevens van gewasbeschermingsmiddelen in Nederland in 2023 per werkzame stof in kg
[11] Dataintelo (2023) : Fosthiazate Market. (consulté le 26.05.2025)
[12] Eurofins (2024) : Verbot von Chlorpyrifos und Chlorpyrifos-methyl in der EU und den USA. (consulté le 26.05.2025)
[13] Committee for Risk Assessment (RAC), ECHA (2023) : Opinion proposing harmonised classification and labelling at EU level of fosthiazate.